E.P.I. - 4ème - Collège de Tuband - 2018
Information, communication, et citoyenneté
Réalisation/création : journal en ligne et/ou journal télévisé et/ou webradio.
Trois temps forts en co-enseignement
Professionnels des médias : presse écrite, TV, radio
Besoins particuliers (organisation, matériel…)
Films « L’affaire Dreyfus » et « Veronica Guerin » .
Casques avec micro, logiciel Audacity
D'où vient l'info ?
Source : France24
Source : CLEMI
Source : Lumni
En 1894, le journal le Figaro révèle l’existence d’une enquête au sein de l’état-major de l’armée française à la suite d’une affaire d’espionnage.
Le capitaine Alfred Dreyfus, juif d’origine alsacienne est accusé d’avoir livré des secrets militaires à l’Allemagne. Dreyfus est condamné en 1895, dégradé et envoyé au bagne en Guyane en 1895.
Jusqu’en 1898, Dreyfus est le coupable idéal et évident ; l’opinion est peu concernée et plutôt unanime quant à sa culpabilité, le contexte antisémite et nationaliste de l’époque (lié notamment à « l’esprit de revanche » qui suit la défaite de 1871 face à la Prusse, revanche dont l’armée doit être l’instrument) favorisant cette opinion.
Une du journal républicain satirique le Grelot de novembre 1894.
Dreyfus est présenté comme un Judas (en référence à Judas Iscariote, un des douze apôtres de Jésus qui l’aurait dénoncé aux grands prêtres du temple de Jérusalem contre quelques pièces d’or).
Derrière lui, sous une bannière maçonnique, Jules Guesde et Jean Jaurès, chefs de file de l’extrême gauche, sont également assimilés à des ennemis de la France liés à un complot international.
Mais en 1896, le colonel Picquart (chef du contre-espionnage) découvre le véritable espion : le commandant Esterhazy. Celui-ci est jugé mais acquitté par la cour martiale sous les applaudissements des nationalistes (qui veulent avant tout protéger le prestige de l’armée et de la Nation). Émile Zola publie alors le célèbre « j’accuse » à la une du journal l’Aurore en janvier 1898. C’est le véritable commencement de « l’affaire » Dreyfus et donc de l’implication massive de la presse écrite et de l’opinion dans le débat public.
Dreyfus est finalement acquitté et réhabilité en 1906.
La presse écrite, dont les tirages sont de plus en plus importants, véhicule les opinions antagonistes des dreyfusards et des antidreyfusards. Près de 100 000 articles ont ainsi été publiés sur l’affaire entre l’arrestation du capitaine Dreyfus en 1894 et sa réhabilitation en 1906. Elle contribue ainsi à forger et à radicaliser les opinions ainsi qu’à diviser la population pendant l’affaire. La presse constitue une tribune pour chaque camp et occupe donc une place essentielle dans la crise.
On distingue ainsi une presse populaire/presse d’information, qui se veut plutôt neutre, d’une presse d’opinion, très influente, qui prend parti et s’engage clairement en fonction de son idéologie et des valeurs qu’elle défend. Une cinquantaine de quotidiens d’opinion sont diffusés à Paris et près de 200 en province. La presse a donc en partie « fait » l’affaire Dreyfus, en lui donnant un retentissement médiatique considérable, en mobilisant l’opinion et en la divisant (même si une partie conséquente des français, encore majoritairement rurale, montre peu d’intérêt pour l’affaire).
« l’Aurore » est un petit quotidien parisien de centre gauche, républicain et progressiste, fondé en 1897, dont les idées sont principalement incarnées par Georges Clemenceau, son éditorialiste. Le journal devient le fer de lance des dreyfusards après la publication du « J’accuse » de Zola, dirigé contre l’armée et le gouvernement. Cet article lance l’affaire Dreyfus et entraîne la constitution du camp dreyfusard, constitué notamment « d’intellectuels » dont Zola est la figure de proue. Le journal offre ainsi pendant toute l’affaire une tribune, un espace d’expression pour toutes les (grandes) figures du mouvement.
« La Libre Parole » est un journal politique et antisémite français fondé en 1892 par le journaliste et polémiste Édouard Drumont. La Libre Parole se fera connaître par la dénonciation de différents scandales (dont celui de Panama) mais c’est surtout avec l’affaire Dreyfus que le journal connaît un succès considérable en devenant l’organe principal de l’antisémitisme parisien. Jusqu’au début du XXème siècle, la grande majorité des journaux (à Paris comme en province) est antidreyfusarde. Parmi ces opposants à la révision du procès de Dreyfus, on trouve des journaux antisémites comme « la libre parole », des journaux catholiques (« la croix », « le pèlerin ») et des journaux nationalistes (souvent également antisémites). L’unité de ce mouvement tient aussi en partie à son rejet du régime parlementaire, supposé corrompu et livré à l’appétit des juifs/francs-maçons/socialistes formant un complot international contre la France.
Les plus grands organes de presse (« Le Petit journal », « Le Petit parisien », « Le Matin »…) qui s’adressent à un très large public (« le petit journal » tire quotidiennement à plus d’1 million d’exemplaires) restent dans une prudente réserve de peur de voir leur vente chuter, même s’ils n’évitent pas toujours l’antisémitisme et le nationalisme, plutôt vendeur à l’époque (le « petit journal » est par exemple plutôt antidreyfusard). Toutefois, c’est le ralliement de l’opinion républicaine modérée représentée par des journaux comme « le temps », « le journal des débats » ou « le petit parisien » à la cause de Dreyfus qui amène à la révision du procès.
La presse s’est emparé de l’Affaire Dreyfus, par exemple le journal le Figaro, a mobilisé l’opinion publique et l’a divisée :
TIRAGES NOMBREUX : au-delà de l’augmentation des tirages qui permettent de toucher un plus large public (augmentation largement liée aux progrès de l’imprimerie nés des Révolutions Industrielles), les journaux s’adaptent en développant des techniques de vente et de « persuasion » efficaces. La presse devient un véritable média de masse répondant à la nouvelle demande sociale née de l’alphabétisation (loi de 1881/1882 rendant l’école gratuite, obligatoire et laïque), de l’urbanisation et de la démocratisation du régime (liberté d’expression, suffrage universel masculin…). Les journaux cherchent ainsi à « vendre du papier » et, en ce qui concerne la presse d’opinion, à défendre leurs valeurs et leurs intérêts politiques.
TITRES PERCUTANTS : originellement intitulé « lettre au président de la République », l’article de Zola est renommé « J’accuse » par Clemenceau, titre plus percutant et plus adapté au mode de diffusion de la presse. En effet, cette manchette (titre en gros caractère dans le vocabulaire de la presse) est facilement lisible sur les affiches placardées dans les rues, peut être aisément « crié » par les vendeurs ambulants et comprend une évidente dimension polémique qui plaît au public de l’époque (attiré par les faits divers et les scandales).
LE DESSIN DE PRESSE : en particulier la caricature (représentation où les traits principaux sont grossis, exagérés) deviennent un élément essentiel du vocabulaire journalistique. Les juifs sont ainsi représentés avec un air fourbe, un nez crochu etc. Les thématiques de la traîtrise, de l’appât du gain ou encore du complot judéo-maçonnique sont mises en image et fondent la culpabilité de Dreyfus. Les campagnes de presse sont souvent très violentes, dans les mots et dans les images, à l’instar de celle contre Zola après la publication de « j’accuse ». La caricature est donc adaptée à un large public, pas forcément instruit ou alphabétisé, dans la mesure où elle permet de faire passer un message simple/simplifié de manière directe. Plus tard, les photos rempliront en partie cette fonction (cf le « choc des photos » de Paris Match).
Le « roi des porcs« , planche n°4 de la série le Musée des Horreurs (1899/1900), caricature de Zola par Victor Lepveu.
Ce « panthéon des monstres » que constitue la série vise à montrer l’immoralité de la cause des dreyfusards et leurs rôles dans l’affaiblissement de la France.
Le romancier est présenté comme un traître à sa patrie, aussi bien par ses œuvres (assimilées à des déjections) à caractère social qui peuvent justifier les revendications socialistes que par son soutien à Dreyfus et donc au complot international contre la France (cf le « caca international » dont il barbouille le pays).
« Le Traître« , planche n°6 du Musée des Horreurs, caricature de Dreyfus par Victor Lepveu (1899/1900).
Ici, le serpent, qui représente le péché dans la tradition chrétienne, illustre la culpabilité de Dreyfus (et plus largement des juifs dont le complot menace le pays, comme en témoignent les multiples têtes de l’animal) et le nécessaire recours à la violence dans la lutte contre ces ennemis de la Nation (cf le couteau planté dans la queue).
À travers la défense de Dreyfus, ce sont en réalité deux conceptions politiques antagonistes qui se sont opposées (il faut rappeler que la IIIème République était encore fragile à cette époque). L’affaire Dreyfus et la presse d’opinion ont ainsi joué un rôle essentiel dans la structuration du paysage politique français contemporain.
Le camp des antidreyfusards : ils accusent Dreyfus au nom de la raison d’État, de la protection du prestige de l’armée et de la Nation. On retrouve dans ce groupe la droite nationaliste, antisémite, souvent antiparlementaire et catholique (et même parfois monarchiste comme Charles Maurras avec l’Action Française fondée en 1905). Ainsi, à l’exception du Figaro, les journaux conservateurs sont pour l’armée et contre Dreyfus.
Le camp des dreyfusards : ils soutiennent Dreyfus au nom des valeurs de la République et de la démocratie (égalité, liberté, justice, droit de l’homme…). Le groupe est constitué par la gauche républicaine et les intellectuels, c’est à dire les personnes disposant d’une certaine autorité dans l’opinion en raison de leur profession ou de leur statut social et qui s’engagent dans les débats publics en faisant part de leurs analyses pour défendre leurs valeurs/idées. Le terme est d’ailleurs apparu pendant l’affaire Dreyfus : il fut utilisé par les antidreyfusards (M. Barrès) pour désigner Zola et comporte donc à l’origine une très forte connotation péjorative. Globalement, les journaux républicains sont ainsi favorables à la révision du procès et défendent les droits individuels de Dreyfus.
Le clivage politique droite-gauche s’établit pendant l’affaire Dreyfus et les différents mouvements politiques se structurent, entre autre, à cette occasion. En 1898, les antidreyfusards Henri Vaugeois et Maurice Pujot (bientôt rejoints par Charles Maurras) créent l’Action Française, mouvement politique antisémite, monarchiste et nationaliste ; l’extrême droite contemporaine prend forme. La même année, le républicain Ludovic Trarieux fonde La Ligue Française pour la Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen (LDH) pour soutenir la cause de Dreyfus ; l’organisation devient le creuset de la gauche républicaine. En 1901, le Parti Radical-Socialiste voit le jour ; il est structuré comme un parti moderne et fonctionne comme une machine électorale de rassemblement républicain (qui s’appuie en particulier sur les réseaux dreyfusards). En 1902, deux partis de gauche sont créés : le Parti Socialiste Français de Jean Jaurès (dreyfusard tardif mais influent à partir de 1899) et le Parti Socialiste de France de Jules Guesde et d’Edouard Vaillant ; les deux partis fusionnent en 1905 et forment la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO). La gauche française s’organise.
La réhabilitation de Dreyfus s’apparente à la victoire des républicains et de leurs valeurs, et donc au renforcement de la démocratie parlementaire. Elle participe ainsi de l’enracinement de la IIIème République et de la structuration des mouvements politiques dans le pays.